Les écoles pour les enfants « sourds-muets »

Octobre 2018

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L’Institution des « Sourds-Muets »  ➀ à Saint-Étienne, créée en 1815 par David Comberry, périclite depuis la mort de son fondateur (en 1834).Un Frère a quelques élèves sourds-muets dont il s’occupe admirablement. Alors l’évêque confie l’Institution aux Frères, le 25 mars 1843, avec 3 Frères et 6 élèves. Pris en charge par le département de la Loire, ils sont installés dans une masure, place Jacquard.

Avec un personnel spécialisé, le développement commence. Difficiles débuts car cette prise en charge ne connaît pas de vacances.

Situation nouvelle pour les Frères

Pas de vacances... Mais c’est un enjeu majeur.
Comme le disait le Frère Directeur à qui trouvait tel jeune trop indiscipliné pour rester dans l’établissement : "Vous savez bien que ce garçon ne trouvera pas d’établissement analogue au nôtre, à des kilomètres d’ici. Sans formation, comment sera-t-il reçu dans un atelier ? Et dans quel climat anti-chrétien va-t-il se trouver ? Pouvez-vous, devant Dieu, assumer la responsabilité de ce qu’il deviendra ? Vous savez qu’au jugement, il vous demandera compte de lui avant de vous interroger sur votre propre conduite."

Dans une Circulaire (du 24 avril 1844), le Supérieur général demande des Frères connaissant le langage mimique pour l’enseignement des sourds-muets, et le 1er octobre, le Préfet envoie à l’école des Frères les 15 sourds-muets dont s’occupait M. Buisson.

Les succès obtenus incitent à faire appel aux Frères pour reprendre d’autres Institutions de sourds-muets en France, puis à l’étranger.

Des institutions reprises

  • Cognin, près de Chambéry (1845-1866),
  • Besançon Saint-Claude (1866-1911),
  • Bourg-en-Bresse (1889-1914).

Des créations demandées

  • à Lyon, par l’archevêque : en 1900 près de Fourvière, transférée à la Croix-Rousse (1902-1947),
  • à Giadînh (1902), à 2 km de Saïgon, à la demande du gouverneur,
  • et d’autres réalisations, notamment à Turin et Manille.

« Plein Vent » à Saint-Étienne

La veille de Noël 1854, le Directeur des « Sourds-Muets » de Saint-Étienne, Frère Vimin, transfère l’Institution au 40 de la rue Franklin, sur la colline Sainte-Barbe : "Plein Vent", c’est le nouveau nom de l’établissement. Vers 1860, des ateliers apparaissent : reliure, cordonnerie, serrurerie, habillement. En 1870, on compte 104 élèves.

Bientôt, au nom de principes laïques, Frères et élèves sont menacés d’expulsion.
Le Directeur sollicite une entrevue auprès du Préfet de la Loire.

Au jour fixé, il lui signale le choc que risque de causer, à des enfants handicapés, la présence de la troupe autour de l’établissement. Pour l’éviter, le directeur remet les clés de sa maison au Préfet qui le remercie de ne pas avoir à expulser des handicapés avec les Frères.
Le directeur lui dit :"Monsieur le Préfet, je vous signale que nos Sourds-Muets sont dans la cour de la Préfecture. Nous, les Frères, nous partons. Nous vous laissons les clés et nos garçons."

Surprise et embarras du Préfet, gêné par cette solution imprévue : il rend au Directeur ses clés et ses enfants.
Et l’Institution vivra tranquille près de 50 ans, dans une maison sous séquestre.

Aujourd’hui, les jeunes sourds de "Plein Vent" sont scolarisés dans le cadre de Saint-Louis, 22 rue Désiré Claude.

Séance de démutisation vers 1960

L’action du Frère Pierre-Célestin

Frère Pierre-Célestin

Pierre Fumet, Frère Pierre-Célestin  ➁, est très attentif aux déficiences sensorielles : lui-même est atteint par la perte d’un œil.

Il est chargé en 1879 de l’inspection des établissements de sourds-muets, et il se rend à Besançon. Il s’intéressait depuis longtemps à cette œuvre, et ses fonctions nouvelles lui laissent du temps pour la composition et la surveillance des ouvrages classiques destinés à ces enfants.

Il y travaille, à Tours pendant un an, à Paris quelques mois, et est nommé pro-directeur à la maison des sourds-muets de Saint-Étienne, en 1882.

Il est considéré comme le principal promoteur de la méthode orale employée dans l’enseignement des sourds-muets, méthode qui réussit à leur rendre l’usage de la parole. Les ouvrages et les appareils, qu’il a inventés ou perfectionnés, sont appréciés par les professionnels.

C’est après le Congrès de Milan, en 1880, que les établissements français introduisent peu à peu l’enseignement de la parole ou méthode orale, à l’exclusion de la mimique.
Dans ce Congrès, où près de 200 Professeurs furent réunis, on admet la supériorité de la parole sur les signes pour les sourds-muets : l’expérience en était faite depuis 10 ans et plus dans certaines écoles d’Italie et de France. Fin 1881, le F. Pierre-Célestin reçoit la mission de l’introduire dans l’école de Saint-Étienne, comme elle l’était déjà dans celle de Besançon.

Le Congrès de Milan de 1880 a donc interdit la Langue des Signes Française (LSF). Cette décision assure une meilleure insertion des sourds dans leur vie professionnelle et sociale. Mais elle fait perdre une culture particulière, regrettée par les jeunes sourds d’aujourd’hui qui veulent la réapprendre pour suivre, notamment à la télévision, les émissions internationales traduites en langage mimique.

Cognin, en Savoie

À la demande de la ville, deux Frères prennent en charge les 2 classes de garçons sourds-muets en 1844 (l’Institution date de 1841), tout en restant en communauté à Chambéry, à 2 km de là. En 1846, le roi Charles-Albert confère à l’école le titre d’Institution royale et la subventionne.
En 1860, avec le rattachement de la Savoie à la France, l’école devient Institution Impériale Française. En 1862, elle se transporte au château de Corinthe, à Cognin. Le nombre des élèves augmente et l’on a jusqu’à 8 Frères.

En 1866, le ministre de l’Instruction publique signifie aux Frères de Corinthe qu’ils ne peuvent continuer leur œuvre et, le 21 septembre, les Frères doivent quitter cette œuvre qu’ils avaient portée à un haut degré de prospérité.

Besançon Saint-Claude

Enfant en apprentissage de la paroleLes Frères s’installent en 1861, à 4 km du centre-ville de Besançon. L’Institution des sourds-muets, qui végétait à Lons-le-Saunier depuis 1808, est transférée dans la maison des Frères en 1865 et s’y développe grâce aux recherches sur l’articulation orale, avec le Frère Riquier (Charles André), se multipliant par 3 pendant sa direction.
Plus tard, les Frères Romule et Pierre-Célestin perfectionnent la méthode "orale dure" dont l’emploi a été préconisé par le Congrès de Milan. L’école des sourds subsiste un peu après la loi de 1904 : elle doit fermer en 1911.

Bourg-en-Bresse

Annexée à l’Orphelinat de Bel-Air, l’école de sourds-muets est tenue par des ecclésiastiques depuis 1856.
L’enseignement de la parole y est introduit après le congrès de Milan de 1880.

En 1888, Mgr Luçon, évêque de Belley s'adresse au Frère Joseph, Supérieur général : « La Préfecture verrait avec plaisir des religieux prendre la direction de l’Établissement… Pour le moment il n’y a que 17 enfants, mais j’ai lieu de croire que ce chiffre s’élèverait entre vos mains ».

Le 20 février 1889, 4 Frères arrivent, dont le Frère Pierre-Célestin, en qualité de Directeur. Mais son état de santé ne lui permet qu’un séjour de deux mois à Bourg-en-Bresse.

L'institution Bel-Air de Bourg-en-Bresse

C’est le Frère Roger-de-la-Croix (Jean Bleuchot) qui lui succède de 1889 à 1914. En 1898, il introduit à Bel-Air l’enseignement agricole avec des cartes murales qui sont très remarquées à l’Exposition Universelle de Paris en 1900. Il reçoit de nombreuses récompenses pour les travaux pratiques en agriculture, horticulture et floriculture. Il ajoute culture de la vigne, des arbres fruitiers et industrie laitière.

En 1914, les Frères sont obligés de partir ; la maison est reprise par les Sœurs de Saint-Joseph de Lyon.

Lyon, La Croix-Rousse

À Lyon, c’est l’archevêque qui demande aux Frères de créer une école de sourds-muets, en 1900. Commencée près de Fourvière, l’école est transférée à la Croix-Rousse en 1902 et on y crée un atelier de reliure.

Dans le jardin potager à La Croix-Rousse

En 1912, lors de l’application à cette maison de la loi de 1904, l’école subsiste dans le cadre de « l’Association des Jeunes Sourds », jusqu’en 1947.
Le nombre trop réduit des jeunes oblige de leur faire rejoindre ceux de "Plein-Vent" à Saint-Étienne.


Hors de France

Giadînh, au Vietnam

Signalons l’établissement des sourds-muets, créé en 1902 par le gouverneur de la Cochinchine, qui le confie aux Frères. Ceux-ci le transportent en 1904 à Giadînh, à 2 km de Saïgon. L’administration organise une œuvre laïque à Cholon, à 6 km de Saïgon. 10 à 12 jeunes y sont conduits de force mais fuguent pour retrouver leurs 36 camarades. Quelle équipée pour ces jeunes sourds que de revenir à Giadînh en déjouant les recherches de la police !

Un couvrecle de petit coffret

On y développe la sculpture annamite et européenne et, semble-t-il, l’œuvre continue encore aujourd’hui, réussissant à fournir de petits objets d’art vendus à l’aéroport de Saïgon pour subvenir à ses besoins.

En d’autres pays, les Frères ont aussi des œuvres pour les enfants sourds

  • Turin, en 1907,
  • Manille, en 1978 (Centre catéchistique de l’Université pour l’activité des sourds)…

Aujourd’hui, la mention « pour les sourds » ne figure plus dans le répertoire des Frères, mais des institutions se cachent derrière l’expression « Centres de recherches sur la santé. »

Frère Alain Houry

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