Le Frère Ogérien, géologue du Jura

Mai 2019  Tous les documents publiés

Né en 1825 à Gresse-en-Vercors (Isère), Jean-Auguste Étienne rentre au noviciat des Frères des Écoles chrétiennes de Lyon en 1844 et reçoit le nom de de Frère Ogérien.
Envoyé à Dijon, il souffre d’une pneumonie qui l’empêche un moment d’enseigner et il profite « de ses instants de loisir pour se livrer à l’étude de l’histoire naturelle, science dont les montagnes de son pays natal lui avaient donné le goût et pour laquelle il avait une aptitude remarquable».  ➀

Les orientations de sa vie

Cette notice sur le Frère Ogérien, conservée aux Archives lasalliennes de France, ne s’étend pas en longues considérations sur la science et la foi de ce Frère. Elle précise simplement : « L’étude et la prière, Dieu et la science, la science pour Dieu, voilà ce qui remplissait sa vie. » En 1854, il devient directeur de l’école de Lons-le-Saunier, ville où il publiera ses travaux naturalistes.

Frère Ogérien

Savant et pédagogue

Les activités naturalistes du Frère Ogérien ont, auprès de ses jeunes élèves, un but éducatif. Un de ses collaborateurs, Defranoux, président de la Société d’émulation du Jura, explique en 1859, dans la Revue d’Alsace, la manière dont Ogérien a cherché à former les jeunes (et les moins jeunes) à la recherche en géologie :
« En 1855, le Frère Ogérien, directeur des écoles chrétiennes à Lons-le-Saunier et membre de la Société géologique de France, entreprenait une tâche honorable : celle de moraliser la jeunesse lédonienne par l’enseignement pratique de l’histoire naturelle. (…) Il institua des courses géologiques auxquelles il faut avoir pris part pour en comprendre le charme, et désireux, non seulement de former un musée du Jura, mais encore de rappeler à la science que son dernier mot n’a pas été dit sur ce magnifique département, il suscita partout des chercheurs de fossiles. Je fus un de ces chercheurs et je viens aujourd’hui, après quatre années d’explorations qui m’ont semblé quatre jours, (…) présenter un résultat de mes observations, un exposé que je chercherai à rendre irréprochable en ne produisant que des faits… »  ➁.

Le Frère Ogérien a donc été à la fois pédagogue, éducateur, chercheur et organisateur d’une recherche encore balbutiante à l’époque.

Inspecteur des écoles aux États-Unis

Sa santé s’étant encore altérée, il quitte Lons-le-Saunier (1867). Les Supérieurs utilisent ses compétences en Histoire naturelle en lui confiant l’organisation des cabinets de sciences dans des Pensionnats. En avril 1869, le Frère Facile (Benoît Rabut, 1800-1877, Assistant du Supérieur général de 1861 à 1873) doit se rendre aux États-Unis et au Canada pour visiter les Pensionnats et les « collèges » fondés par les Frères et qui inquiètent sans doute le Frère Philippe, Supérieur général, par le mode de vie et la liberté qui y règnent. Il faut des personnes compétentes pour visiter ces institutions nouvelles. Frère Facile a recours au Frère Ogérien. Celui-ci se rend donc à San Francisco par le tout nouveau chemin de fer et il visite la fondation en cours de Saint Mary’s college. De retour à New-York après avoir visité le Canada, il décède des suites d’un AVC en décembre 1869  ➂.

Une publication sur la géologie du Jura

Des publications scientifiques sur le Jura

Outre différentes notes scientifiques et résumés d’excursions, Frère Ogérien publie
- la Géologie du Jura (1858),
- puis la description du Terrain diluvien dans le Jura (1864)  ➃
- et surtout les trois volumes de l’Histoire naturelle du Jura (1863, 1865, 1867)  ➄.
Les Archives lasalliennes de France donnent divers autres documents, dont un texte sur le terrain tertiaire dans le Jura, un autre sur les fossiles du corallien du Jura et l’inventaire de 26 espèces de poissons dans le Doubs et 17 espèces dans les rivières des environs de Lons-le-Saunier  ➅.

Livres de géologie à la BNF

Brème péchée dans la Saône

Dans un réseau de savants

Frère Ogérien a été membre de la Société géologique de France, inspecteur des écoles normales sous le Second Empire, membre de diverses sociétés scientifiques, dont la Société météorologique de France. Il est d’ailleurs nommé par le ministre de l’instruction publique, membre de la commission départementale de météorologie (le 8 décembre 1864).

En géologie, Frère Ogérien était fixiste ; il suivait Cuvier et plus spécifiquement son contemporain Alcide d’Orbigny, qu’il cite beaucoup avec la permission de l’éditeur Masson  ➆. Or d’Orbigny est l’un de ceux qui a poussé le plus loin possible la thèse catastrophiste, admettant de multiples créations nouvelles suivant autant de catastrophes  ➇. Frère Ogérien est dans cette logique et la découverte des couches géologiques est pour lui un moyen d’accéder à une création particulière et de comprendre quelle catastrophe a pu la faire disparaître.

Ammonites

Pour la rédaction du tome premier de l’Histoire naturelle du Jura, consacré à la Géologie, Frère Ogérien a de nombreux collaborateurs qui sont des érudits locaux ou des spécialistes de telle science qui lui confient leurs échantillons de terres ou de minéraux et leurs résultats, etc.

    On compte parmi eux :
  • Lamairesse, membre de la Société géologique de France, ingénieur hydraulique qui donne des chiffres sur le débit des rivières du Jura et des échantillons de minéraux ;
  • Mangon, chimiste à l’École des mines, qui analyse des terres arables ;
  • Marchand, conservateur du Musée d’Histoire naturelle de Dijon, qui fournit une liste de mammifères fossiles correspondant à des localisations géologiques précises ;
  • et Nodot, Ruty, Defranoux, etc.

On comprend donc que, derrière le nom d’Ogérien, il y a évidemment l’immense intelligence et force de travail de ce dernier, mais aussi la mise en ordre d’une foule de travaux émanant d’ingénieurs, de naturalistes, de chimistes, de conservateurs, et pour beaucoup d’entre eux, de scientifiques amateurs.

détail sur la gélologie du Jura, p. 607

Il faut aussi noter que Frère Ogérien travaille au moment où l’on creuse les tranchées du chemin de fer de la ligne de Bourg-en-Bresse à Lons-le-Saunier : il fait référence à des relevés de profils géologiques pris sur cette ligne (Cousance et Cuiseaux). La situation géologique de la gare et de la ville de Mouchard a pu fournir un matériel géologique de choix au Frère Ogérien et à ses collaborateurs. Bien d’autres lignes secondaires s’ouvrent durant les mêmes années : une aubaine pour faire des relevés géologiques et paléontologiques à peu de frais.

Et un savant enraciné dans une région

Le Frère Ogérien n’a pas seulement montré un intérêt pour la géologie et la zoologie, il a tenté d’être un esprit scientifique ouvert à l’universel. Dans l’Annuaire de l’Institut des provinces, des sociétés savantes de France et des congrès scientifiques, le secrétaire, le marquis de Fournès résume la session de 1864 du congrès de cet institut :
« M. Rebour termine en entretenant le congrès des travaux météorologiques du Frère Ogérien (…). Quoiqu’appartenant à cet ordre si dévoué de religieux, qu’on s’obstine à qualifier d’ignorantins, le Frère Ogérien n’en est pas moins un savant de premier ordre ; il a dressé une carte climatique du Jura »  ➈.

Carte météorologique de Jura (détail)

Avant de s’intéresser à la géologie et à la paléontologie, Frère Ogérien s’intéresse donc à sa contrée d’adoption, le Jura. C’est ce milieu naturel qu’il a tenté de comprendre, par les sciences de la nature et pour le rendre plus habitable à ses contemporains. Les Mémoires de la Société d’émulation du Jura publièrent en 1864 un article de Frère Ogérien, intitulé « Météorologie du Jura »  ➉.
Véritable précurseur de l’écologie, Frère Ogérien y établit des liens entre les conditions climatiques, la nature des cultures, la végétation notamment de montagne, la constitution géologique des terrains et même la fréquence des épidémies.

Frère Olivier Perru

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