Mgr de Miollis et les Frères

Octobre 2022

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Charles-François-Melchior-Bienvenu de Miollis (1753-1843) fut évêque de Digne-les-Bains de 1805 à sa démission, en 1838. Ordonné prêtre en 1777 à Carpentras, à l’époque en territoire pontifical, Mgr de Miollis fut vicaire à Aix-en-Provence et s’occupa des catéchismes en milieu rural. À la même époque, le Frère Guillaume-de-Jésus, François Marre de son nom civil (1746-1830), était professeur au pensionnat des Frères de Marseille.
Ayant refusé de prêter le serment à la constitution civile, les deux hommes émigrèrent vers Rome en 1792. 

Le Frère Guillaume-de-Jésus quitta Marseille pour Nice le 26 juillet 1792 ; après diverses péripéties, il est à Ferrare en octobre. Entre 1800 et 1812, il dirigea au moins deux écoles de Rome : La Trinité-des-Monts et San Salvatore in Lauro ; il a été vicaire général de l'Institut pour l’Italie entre 1805 et 1813.
Il parait impossible que les deux hommes ne se soient pas connus, bien qu’on n’en ait, pour le moment, pas de preuve historique. Cette remarque est d’importance pour notre sujet, car c’est à partir du supériorat du Frère Guillaume-de-Jésus que des Frères furent envoyés dans le diocèse de Digne, soit après 1822. On peut donc y voir plus qu’une coïncidence.

Frère Guillaume-de-Jésus (1746-1830)
Mgr Charles-François Bienvenu de Miolis

On lit, dans la lettre n° 2 de l’association Mgr de Miollis, évêque de Digne que ses dons et charismes « sont multiples et irriguent de vastes champs : caritatif, spirituel, intellectuel, affectif, gestionnaire... » .

Le rédacteur retient surtout l’humilité, la charité envers tous et la proximité des pauvres. Mgr de Miollis fut l’évêque des pauvres et c’est à ce titre que Victor Hugo, qui n’était pas un pilier d’église, en brosse un portrait simple et élogieux sous le nom de Mgr Myriel, dans Les Misérables.
L’évêque qui accueille Jean Valjean à sa table, accueille un délinquant rejeté ; il ne réussit pas à le convertir et il se fait voler : l’échec est apparemment au rendez-vous, mais c’est pour une miséricorde plus grande.

Mgr de Miolis par Gustave Brion
L'évêque dort...

On connaît la suite : le vol des couverts en argent qui cause l’irruption de la police, le don et le pardon de l’évêque à Valjean.

Dans ce thème de l’accueil des pauvres qui va jusqu’au pardon et jusqu’à une libre miséricorde, on reconnaît une orientation majeure de la vie de Mgr de Miollis, où il rejoignait sans doute l’intention de saint Jean-Baptiste de La Salle, en ce qui concerne l’éducation des enfants et des jeunes défavorisés.

Si Mgr de Miollis a fait appel aux Frères pour le diocèse de Digne, ce n’est pas uniquement pour créer des œuvres scolaires qui y manquaient, c’est aussi et surtout pour évangéliser et catéchiser une population de jeunes qui, après la Révolution, n’avaient pas ou peu entendu parler du message chrétien.

Mgr Myriel dans <em>Les Misérables</em> de Victor Hugo

Forcalquier : la première école

La première école ouverte est celle de Forcalquier, en 1822. C’est l’évêque de Digne qui prend les initiatives. Dès août 1819, il est à la manœuvre pour traiter avec le Conseil municipal de Forcalquier en vue d’adjoindre une école de Frères à l’école secondaire ecclésiastique déjà présente (id. Le petit séminaire).

  • « Cet établissement a commencé le 24 février 1822 ; il se composait de trois Frères et fut formé par les soins de Mgr Miollis évêque de Digne et des jésuites qui firent les premiers frais. Les Frères furent d’abord logés chez les jésuites, ensuite Mgr Miollis acheta la maison qu’ils occupent aujourd’hui ».

La maison fut acquise le 13 juin 1826 et elle devait retourner au petit séminaire de Forcalquier, voire au grand séminaire de Digne en cas de carence de Frères. Les Jésuites assurèrent le traitement des Frères jusqu’à leur départ en 1829, du fait d’une ordonnance de Charles X. La municipalité prit le relais mais il y eut souvent des difficultés à cause de l’insuffisance et des aléas du traitement concédé aux Frères (4 fermetures et réouvertures successives). L’école accueillera jusqu’à 180 enfants vers 1860, mais elle fermera définitivement en 1876. Mis à part les considération juridiques et économiques, on a peu d’informations sur la manière dont cette école a assumé sa mission du vivant du Frère Guillaume-de-Jésus et de Mgr de Miollis.

Une vieille carte postale de Forcalquier

La deuxième école, à Riez

À la même époque, en 1829, furent fondées l’école et la communauté de Riez. Elles survécurent jusqu’à la laïcisation, en 1904. Cette fondation faisait suite à une donation au Supérieur Général de l’Institut, pour l’établissement d’une école gratuite dans la commune.

Mais le testament est attaqué par les héritiers. Après divers problèmes juridiques, le Supérieur Général (c’est encore Guillaume-de-Jésus) accepte le legs ; le Frère Lessemond (Jean-Baptiste Puechmagre) dirige cette communauté de 1829 à 1843. L’école comptera 144 élèves en 4 classes en 1860.

Les écoles de Forcalquier et de Riez sont donc les deux écoles de Frères fondées à l’appel de Mgr de Miollis et du vivant du Très honoré Frère Guillaume-de-Jésus.

Une vieille carte postale de Riez

Et une école pour la ville épiscopale de Digne-les-Bains

Mais le saint évêque de Digne-les-Bains voulait aussi une école pour sa ville épiscopale. En 1836, l’abbé Paul Gariel, curé, propose de céder à la ville de Digne-les-Bains l’usufruit d’un bâtiment (aujourd’hui situé au 2, boulevard Soustre) qu’il a fait construire pour y installer une école, à condition que la ville pourvoie au traitement de 3 Frères des Écoles chrétiennes. Le 15 octobre 1836, les trois Frères arrivent à Digne-les-Bains : les Frères Sylvain (Joseph Patin), directeur, Sophrone et Teulin. Ils sont accompagnés du Frère Hervé-de-la-Croix, Visiteur du District d’Avignon. Le dimanche 23 octobre après les vêpres, Mgr de Miollis se rend à la maison des Frères, il la bénit solennellement et en remet les clés au Frère Sylvain.

Les Frères resteront à Digne-les-Bains jusqu’à l’été 1905 En réalité, des tractations entre le préfet des Basses-Alpes (aujourd’hui, Alpes-de-Haute-Provence), le curé Gariel et Mgr de Miollis d’une part, les Frères d’autre part, ont eu lieu du vivant même du Frère Guillaume-de-Jésus, dans les années 1824-1825, en vue de l’établissement d’une école de Frères à Digne-les-Bains. Mais le projet n’aboutira qu’en 1836, sous le supériorat du Frère Anaclet. Les projets d’extension de l’établissement au cours du XIXe siècle (cours d’adultes, pensionnat) ont toujours échoué pour des raisons liées au contexte local. C’est essentiellement l’activité fondatrice de Mgr de Miollis et de l’abbé Gariel qui ont permis ultérieurement l’enracinement des Frères et de leur œuvre dans le paysage dignois pendant près de 70 ans.

Digne-les-Bains

Il faut aussi noter que la présence des Frères dans les Alpes-de-Haute-Provence et dans les Hautes-Alpes fut toujours difficile, se heurtant à des résistances locales et à un manque de moyens ; la loi de 1904 fut fatale à toutes les écoles encore ouvertes à l’époque.

Seuls les établissements de Manosque (de 1942 à 1951) et des Mées (de 1919 à 1934) tenteront à nouveau d’exister au cours du XXe siècle.

F. Olivier Perru