Frère précepteur

Mai 2023

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Les Frères des Écoles Chrétiennes n’ont pas vocation à être éducateurs de princes. Toutefois, leur notoriété d’éducateur des enfants du peuple, pragmatique et efficace, a pu les conduire à accompagner, à la demande de leur famille, des enfants de haut lignage sur des épisodes éducatifs de plus ou moins longue durée.
Voici le rare récit d’un Frère instituteur devenu Frère précepteur d’un prince.

Frère Aimé Badoz, précepteur de princes

Frère Aimé Badoz

C’est en juillet 1854 que le Frère Aimé Badoz (Pierre-Chrysologue, 1818-1899) reçoit son obédience pour la communauté de Parme. Depuis 10 ans il était un professeur de lettres apprécié au pensionnat "Aux Lazaristes" à Lyon.  « Soudain, le 14 juillet 1854, un coup semblable à celui de la foudre dans un ciel serein s’abattit sur moi (…) On m’invitait à réunir promptement mes papiers personnels (…) et à prendre le chemin de l’Italie, où m’était confiée l’éducation du jeune duc Robert de Parme, neveu de Mgr le comte de Chambord » .
Une expérience éducative inédite et rarissime. Rare également, le fait que Frère Badoz rédige des mémoires à une époque où l’humilité religieuse commande de s’en garder.

Nos archives possèdent deux versions mises en forme de ces mémoires dont les originaux semblent perdus, 

  • l’une relatée dans le Bulletin des Écoles chrétiennes (octobre 1933 et janvier 1934), 
  • et l’autre - qui s’inspire de cette même source - dans une revue locale, Le petit journal du bout du canton (dont Montmahoux, Doubs, lieu de naissance du Frère Badoz), rédigée par le Frère Gérard Devloo (1920-1998) en 1993.

Ce préceptorat s’achèvera courant 1859 alors que la seconde guerre d’indépendance de l’Italie entraîne l’exil de la famille ducale. Le Frère Badoz prend alors la direction de l’école des Frères de Parme jusqu’en 1862 avant de rentrer en France. 
Le Frère Badoz est tout d’abord chargé de l’éducation primaire de la sœur ainée, la princesse Marguerite - « vive et intelligente » -  et de son frère puîné, le prince Robert - « paresse incarnée ».
« Vers Pâque 1855, la princesse fut placée chez les dames du Sacré-Cœur. »
« Au début de 1856, on me confia aussi le second des garçons, le comte de Bardi ».

le Mont Mahoux

L'école des Frères de Parme

Notre récit commence plus tôt encore dans le duché de Parme et de Plaisance, en Italie, qui échappe brièvement à la Maison de Bourbon-Parme entre 1815 et 1847 en étant confié par le congrès de Vienne aux bons soins de Marie-Louise d’Autriche (1791-1847), ex-impératrice des Français (1810-1814) puis duchesse de Parme jusqu’à son décès. C’est à son initiative qu’une école de Frère est fondée en 1836 au sein du monastère de Sant’Alessandro dans la ville de Parme. 

Le palais ducal de Parme
Monastère Sant'Alessandro

À son décès, le duché retourne dans son giron capétien d’origine avec le prince Charles II qui abdique rapidement au profit de son fils Charles III en 1849. La famille ducale entretient alors des rapports suffisamment proches avec la communauté des Frères pour que son Frère sous-directeur en vienne à donner quelques leçons particulières à l’un ou l’autre de ses quatre enfants dont l’éducation très pluridisciplinaire fait appel à de nombreux intervenants laïcs et religieux. 

En 1858, une annexe de l'école des Frères est ouverte près du palais ducal.

Une famille dans la tourmente

Petite fille de Charles X et sœur d’Henri d’Artois-comte de Chambord, Louise d’Artois (1819-1864) devient duchesse de Parme et de Plaisance par son mariage en 1845 avec son cousin Ferdinand Charles III de Bourbon-Parme (1823-1854) que nous venons d’évoquer. De leur union naissent donc quatre enfants dont le prince Robert Ier (1848-1907), le fils ainé, devenu duc de Parme à 6 ans suite à l’assassinat de son père. L’histoire italienne vit alors une époque troublée par des mouvements révolutionnaires et des guerres d’indépendance.

Aussitôt le décès de son mari en mars 1854, Louise d’Artois, dont le père a également été assassiné en 1820, prend en main la régence du duché, charge qu’elle assumera jusqu’à son décès précoce en 1864 après une vie lestée par nombre de deuils et d’exils forcés. C’est son frère, le comte de Chambord, lui-même sans descendance, qui assurera la tutelle des quatre enfants princiers par la suite, laissant au prince Robert Ier une partie de son imposant héritage à son décès en 1883… dont le château de Chambord.

De culture française, et conseillée par la communauté des Frères de Parme, Louise d’Artois sollicite rapidement le Frère Philippe, Supérieur de 1838 à 1874, pour obtenir un Frère précepteur à temps plein à même de procurer des éléments de culture française à ses enfants. Les choses vont bon train puisque le Frère élu pour cette fonction - le Frère Badoz - arrive à Parme en septembre 1854.

Le prince Robert Ier et le comte de Chambord

À distance relative de la cour

À son arrivée au palais, « La duchesse offrit à notre confrère le logement et la table dans son palais. Le Frère Pierre-Chrysologue demanda en grâce de n’être point séparé de ses Frères avec qui il désirait vivre (…). Un tel refus, motivé par des raisons de convenances religieuses, produisit une excellente impression sur toutes les personnes de la cour » (récit du Frère Casimiro di Gesu).
Il rejoint donc tous les jours sa communauté ; donne des leçons de français, d’histoire, de géographie et d’arithmétique ; partage les leçons de ses confrères professeur d’écriture et autres maitres de danse ou d’escrime ; noue des relations avec les divers aumôniers, officiers et médecins de la cour avec lesquels il sympathise. Avec eux il partage repas, promenades, parties de billard, excursions campagnardes ou villégiature vénitienne le temps des vacances de la cour. 

Mais ses promenades solitaires durant lesquelles il herborise ou se récite des poèmes en italien sont ses meilleurs souvenirs. Il se plaint de ses difficultés à digérer la trop riche nourriture de la cour, s’étonne de son train de vie et de ses dépenses, et s’appuie sur la prière et la sainte communion pour maitriser « la maitresse folle du logis, ma pauvre imagination qui se mettait en campagne à propos d’un rien… ».

Éducateur psychologue et avisé, il semble être un des rares à avoir eu de l’ascendant sur le jeune prince Robert très peu porté aux études. Le comte de Chambord assistant à l’une ou l’autre de ses leçons le félicite du bienfait apporté à ses très chers neveux.

Louise d'Artois
Charles III
Prince Robert

Religieux éducateurs de princes

L’éducation, dans le contexte socio-culturel de l’Ancien Régime, était traditionnellement confiée à du personnel religieux sous le mode du préceptorat ou sur celui de l’enseignement collectif.
On connaît l’épisode où Jean-Baptiste de la Salle est conduit, à la demande de Louis XIV,

► à prendre en main l’éducation de cinquante jeunes nobles irlandais catholiques, dont les parents avaient suivi le roi d’Angleterre, Jacques II, réfugié en France.

► à ouvrir, à Saint-Yon près de Rouen, une pension de force pour jeunes gens de familles distinguées « frappés » de mauvaises habitudes. 

Les institutions éducatives accueillant des enfants de plus « noble condition » étaient plus fréquemment de tradition éducative jésuite ou oratorienne, les établissements lasalliens étant plus souvent consacré à l’enseignement primaire et implanté dans les zones périphériques et populaires. Toutefois quelques grandes institutions éducatives parmi les plus anciennes, implantées dans les centres-villes historiques et ouvrant à des cursus classiques, ont pu accueillir cette catégorie d’élèves issus de noblesse d’Ancien Régime ou de noblesse d’Empire. 

Le Frère Badoz poursuivit sa carrière comme directeur de l’école de Troyes pendant 15 ans et comme inspecteur au pensionnat de Béziers où il termina ses jours.
Fort de 24 enfants en deux mariages, son élève princier eut une descendance riche de plusieurs têtes couronnées. 

Jean-Baptiste de La Salle accueille les jeunes Irlandais

Avisé de la mort de son ancien précepteur en 1899, le prince Robert évoque dans un courrier adressé à la communauté des Frères de Béziers où il résidait, le maitre et l’ami des enfants pour lequel lui et ses frères et sœurs éprouvaient confiance et affection.

Bruno Mellet