Le souci pédagogique

Septembre 2022

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La littérature apprend-elle à vivre ? L’internat est-il une démission des parents ? Enseigne-t-on l’art d’écouter ? La fin des examens ? Les jeunes ont-ils un idéal ?... Ces titres accrocheurs extraits de la revue de pédagogie chrétienne Orientations - éditée par les F.E.C. sur la décennie 1962-1975 - évoquent la saveur des débats pédagogiques d’une époque qui voit l’institution scolaire quelque temps restée à quai, entamer un voyage au long cours en quête de réponses aux défis éducatifs qui ne cessent de surgir. Au fil de ces navigations, petit retour sur la feuille de route lasallienne et son parcours.

Écosystème éducatif

Dans la lente composition de la structure scolaire française, on le sait, les Frères des Écoles Chrétiennes ont joué un rôle important dans l’élaboration du paysage éducatif toujours actuel, avec ses écoles élémentaires, ses sections complémentaires devenues collège, et ses pensionnats déclinés en lycées avec leurs sections techniques, leurs classes préparatoires ou leurs filières d’apprentissage. Comme d’autres congrégations enseignantes, les Frères ont été amenés à prendre des responsabilités éducatives dans des champs plus spécialisés dans le monde carcéral, hospitalier, ceux du handicap et des orphelinats, avec plus ou moins de bonheur au gré des charismes des éducateurs en charge.

Le charisme collectif des Frères s’exprime plus particulièrement dans l’animation communautaire de cet écosystème particulier qu’est une institution scolaire conçue comme espace éducatif où peut s’effectuer un ensemble d’apprentissage spirituels, culturels et sociaux visant l’intégration – parfois rapide - de chacun dans la société et dans une vie chrétienne. L’ouverture de l’école au monde, celui des savoirs à acquérir et celui des jeunes à éduquer, est fondamentale et met (avec un vocabulaire contemporain) l’équipe éducative dans une logique de recherche-action constante : la réputation d’une école se fait dans la durée et se défait rapidement.

La Conduite des écoles, œuvre collective des Frères et recueil de leurs expériences éducatives, est la feuille de route qui accompagne l’évolution des écoles durant trois siècles avec 22 éditions depuis 1706 dont 3 mises à jour notables (1811, 1860, 1903). La Conduite est l’ancêtre, d’une certaine manière, du projet éducatif lasallien composé et réactualisé périodiquement depuis les années 1980 (en France). Cette Conduite des écoles détaillait par le menu l’organisation souhaitable de l’école (horaires, discipline etc.) et les stratégies d’apprentissage propres à chaque matière.  Elle s’adressait aux Frères en tant que responsables d’école et de classe : le maitre y est conçu comme un modèle d’identification pour les enfants qui lui sont confiés par Dieu.La barre ainsi placée haut fonde ce pragmatisme éducatif qui reste la grande caractéristique de la pédagogie lasallienne dont le pivot est la qualité de la relation éducative.  Aussi l’édition de 1811 développe-t-elle les intuitions du Frère Agathon (1731-1798), dernier Supérieur avant la Révolution, concernant l’importance de la formation humaine et pédagogique du maitre chrétien.

Conduite des écoles

Formation des maitres

La formation des éducateurs fait l’objet d’une attention constante : c’est dans ce but que l’Institut comme corps de religieux éducateur est fondé en 1680. Il va progressivement s’appuyer sur un réseau « d’écoles normales » (rarement dans sa formule classique mais des noviciats complétés par des temps de formation spécifique) et « d’écoles d’application » bénéficiant de nombreuses « sections expérimentales » où l’innovation pédagogique se met en œuvre. Un Institut de formation des maitres en quelque sorte, équipé de récits d’expérience – Conduite des écoles, Règles de la bienséance – de dynamiques de partage (mutations, échanges communautaires, travaux d’équipe), de temps d’évaluation (visites, inspections, validations d’expériences…) puis peu à peu d’une logistique pédagogique (manuels scolaires, cadre matériel etc.) le tout donnant chair à une tradition éducative qui connait ses élans et ses reculs au gré des opportunités et des crises traversées. Durant le XIXe siècle, les Frères sont considérés parmi les religieux enseignants les mieux formés.

L’édition de 1861 de la Conduite garde traces des réponses d’Institut aux évolutions scolaires qui se précipitent alors : demandes croissantes d’ouverture d’écoles et de communautés nécessitant une formulation uniforme du modèle de l’école élémentaire des Frères, emprunts pédagogiques aux écoles mutuelles (1815-1853), accumulations de matières nouvelles (Loi Guizot, 1833), débats sur les méthodes d’émulation des élèves.  Plus tard vient l’obligation de plus en plus pressante d’obtenir le brevet élémentaire pour pouvoir enseigner et la nécessité d’approfondir toujours davantage la formation intellectuelle des Frères : si l’école élémentaire demeure l’institution la plus commune à animer, les filières de formation spéciales et supérieures se développent. Les Frères vont réclamer une Conduite adaptée aux pensionnats. Les matières scolaires se diversifient avec leurs problématiques éducatives propres. Les incertitudes politiques des années 1880-1904 freinent la mise à jour d’un projet éducatif d’ensemble qui voit son unicité se fragmenter mais doit consolider plus que jamais sa cohérence et son identité tandis que l’Institut se voit exclu de l’enseignement public.

Exercice au tableau en classe
Des élèves n'ont pas de table

C’est à cette période qu’une solide organisation de la formation pédagogique des Frères se structure, la richesse en ressources humaines autorisant une impressionnante capitalisation interne dont les fruits sont consacrés entre autres par les succès obtenus aux expositions universelles entre 1879 et 1900. Les scolasticats (écoles normales des Frères) se multiplient à partir de 1879. Un programme unifié de formation catéchétique se met en place. La production de manuels scolaires régulièrement mis à jour par des commissions est organisée tandis que la constitution de bibliothèques communautaires est encouragée.

La revue pédagogique hebdomadaire L’éducation chrétienne dirigée par le Frère H. Bragayrac (1842-1922) voit le jour (1891-1910). Une nouvelle version – très attendue – de la Conduite des écoles – associée à un Directoire pédagogique - parait enfin en 1903 – sous la houlette du Frère P. Hanrot (1857-1923), dans la lignée des réflexions des Éléments de pédagogie pratique (1901-1902) et des Notes de pédagogie chrétienne de 1897 qui intègrent les préconisations des sciences de l’éducation qui prennent alors leur essor.

Deux spécialistes en pédagogie
Cours de philosophie
Leçon de psychologie
La caractérologie

Tradition et modernité

Revue et corrigée en 1916 dans son ultime édition, la Conduite restera longtemps le vade-mecum des Frères pris dans la tourmente des expulsions de 1904 et des conflits qui s’enchainent. Mais l’internationalisation de l’Institut, la diversification des projets éducatifs, l’offre croissante de formations spécialisées et d’innovations éducatives, la montée en puissance de l’éducation nationale qui enchaîne les réformes, vont faire tomber son usage en désuétude.

L’Institut reste à l’écoute de ce monde de l’éducation en mutation continue avec l’édition d’une lignée quasi ininterrompue de revues destinées aux éducateurs chrétiens : Entre-Nous (1939-1961), Catéchistes (1950-1974), Orientations (1962-1975), Correspondances (1968-1974), Foi et langage (1970-1981), Temps et Parole (1975-1979), Action éducative lasallienne (1978-1999).

L'éducation chrétienne
La revue Orientations
Action éducative lasallienne

Les scolasticats de niveaux universitaires – réclamés en 1894 - se mettent en place durant l’entre-deux guerres (Lille, 1921) dans un contexte où la survie des établissements absorbe les énergies. Il faut attendre l’éclaircie socio-économique des années 1950-1960 et tout particulièrement la Loi Debré de 1959 connectant l’enseignement catholique au service public, pour libérer un renouvellement éducatif d’ampleur dans lequel les questions de relations et de directivité sont assez centrales.

Les Frères, praticiens de l’éducation et adeptes des méthodes éprouvées et efficaces, rentrent prudemment dans les débats par l’intermédiaire d’une structure de réflexion informelle mais très active coordonnée par le Frère Jacques Piveteau (1924-1986) et qui prend figure de Bureau Pédagogique sur la période 1961-1967. Voyages d’études, conférences, éditions des revues mentionnées plus haut, coopération avec l’Afrique francophone, partages d’expériences en milieux populaires ou spécialisés… nourrissent une recherche explorant l’éducation entre autres dans ses dimensions évangéliques et politiques. Succès d’estime ayant bénéficié de la sympathie des Supérieurs, le B.P. disparait vers les années 1977 après avoir contribué à réveiller les consciences et redonner du sens à quelques utopies nécessaires. Les secrétariats à l’éducation et à la formation (des Frères) qui œuvrent en parallèle s’en inspirent pour d’autres expériences plus durables.

En 1976, les Frères prennent la responsabilité du Centre de Formation Pédagogique Pierre Faure pour la formation des maitres de l’enseignement catholique renouant ainsi avec une longue tradition. Des séjours autour de projets humanitaires y sont proposés aux futurs enseignants.

La fondation de l’Association La Salle en 1978 et la création de la « région France » rebattent les cartes de l’organisation de l’institut qui pense son avenir en intégrant davantage les laïcs. Le souci de la formation pédagogique se structure en cohérence avec le choix d’animer un réseau d’établissements partageant une même histoire.

Un institut de formation permanente « maison » dans le domaine de l’éducation est ainsi fondé fin 1988 : l’Institut de la Salle (I.D.L.S.). À l’écoute des mouvements pédagogiques qui se recentrent sur les modes d’acquisition du savoir l’I.D.L.S. propose un ambitieux Programme d’Enrichissement Instrumental permettant à des équipes éducatives de se mobiliser au service des élèves les plus en difficultés dès 1990.

Former les « maitres » mais aussi former des formateurs : des parcours de validation d’acquis d’expériences sont proposés validés par des D.H.E.P.S. (Diplôme des Hautes Études des Pratiques Sociales).

Former des équipes éducatives également : des parcours d’élaboration de projets d’établissement sont accompagnés et contribuent à créer des dynamiques régionales ou nationales qui participent à l’écriture d’une histoire et d’une identité partagées.

Frère Jacques Piveteau
Être manager
Problème de l'école

Nos archives pédagogiques offrent un panorama remarquable sur trois siècles de pratiques : directives administratives et leur application, programmes et palmarès de fin d’année, manuels scolaires et leur usage, préparations de cours et cahiers d’exercices des élèves, etc. De quoi nourrir bien des recherches sur les racines d’un présent éducatif à inventer sans cesse.

Bruno Mellet

Sources bibliographiques : Lauraire (Frère) Léon, La conduite des écoles. Approche diachronique, Cahiers lasalliens, Maison généralice, Rome, n° 67, 2014.